L’Outaouais a le privilège d’être associé à l’une des plus grandes figures légendaires du Canada français, Jos Montferrand. Ce célèbre personnage est un héros de mon enfance, car mon grand-père maternel, William Drouin, qui avait été bûcheron à Mattawa, en Ontario, me parlait souvent de ses exploits. Par surcroît, je suis un fier lointain cousin de ce personnage plus grand que nature.
Bien qu’il soit très lié à l’Outaouais, l’homme fort ne vient pas d’ici. Il y passe toutefois 30 ans, attiré par l’industrie forestière, le moteur économique de notre région au XIXe siècle. C’est ici qu’il entre dans la légende, puisqu’il est impossible, même aujourd’hui, de savoir lesquels de ses exploits relèvent de l’histoire ou du folklore.
Montferrand naît à Montréal en 1802. Ses exploits commencent en 1818 lorsqu’il chasse trois fiers-à-bras qui terrorisent son quartier. Avec son 1,93 m, le géant ne s’en laisse pas imposer. En 1827, Montferrand commence à parcourir l’Outaouais où il est tour à tour, bûcheron, draveur, contremaître de chantier et maître de cages.
Ses exploits
Montferrand aime sa vie errante qui l’amène dans les chantiers et tavernes où règne la loi du plus fort et où les costauds de chaque groupe ethnique doivent défendre l’honneur des leurs. Ces affrontements mettent en valeur la force, l’habilité et le courage, trois attributs que Montferrand possède plus que tout autre.
On ne compte plus ses exploits réels ou imaginaires, mais de tous ses hauts faits, le plus extraordinaire demeure sa bataille de 1829 sur le pont Union, aujourd’hui des Chaudières. Ce pont entre Bytown (Ottawa) et Wrightown (Hull) est le théâtre d’un conflit qui oppose des fiers-à-bras irlandais, les Shiners, aux Canadiens français. Les deux groupes se disputent les emplois dans l’industrie forestière. Les bagarres sont fréquentes aux chutes des Chaudières où des fiers-à-bras contrôlent le pont. C’est là que le chef des Canadiens français tombe dans une embuscade et met en déroute 150 Shiners. La scène est horrible, plusieurs des attaquants se retrouvent à l’eau et le sang coule du parapet dans la rivière.
La légende
Après 1840, les exploits de Montferrand se font plus rares. Il ne parcourt plus les chantiers, mais dirige les cages de bois équarri vers Québec, ce qui demande beaucoup de talents. En 1857, il se retire à Montréal où il meurt en 1864. Remarié depuis peu à Esther Bertrand, il laisse un fils posthume.
Montferrand entre dans la légende bien avant sa mort. Après la tradition orale, des écrits contribuent à grandir ses prouesses, plusieurs vont l’immortaliser, particulièrement l’historien Benjamin Sulte par l’imprimé et Gilles Vigneault par la chanson. Postes Canada immortalise en 1992 l’image du plus célèbre bûcheron du pays. Cela dit, pour moi son plus grand exploit s’avère que l’on parle encore de lui plus de 150 ans après sa mort.
Enfin, le palais de justice de Gatineau porte son nom depuis 1978 bien que ce choix soit critiqué lors de l’inauguration. En effet, des juges trouvent inapproprié de nommer leur palais de justice en l’honneur d’un « pilier de tavernes ». Sans nier que Montferrand aimait fréquenter ces lieux, je crois que mon lointain cousin mérite bien plus le titre glorieux de « roi des forêts de l’Outaouais ».
Pour mieux connaître Montferrand voir : Michel Prévost, Jos Montferrand, figure légendaire de l’Outaouais dans l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française
Par Michel Prévost, D.U., président de la Société d’histoire de l’Outaouais