Un joyau de style Art déco à Gatineau

Une foule enthousiaste assiste, le 25 mars 1937, à l’inauguration d’un nouveau cinéma dans le Vieux-Hull, le Cartier, qui présente le film One in a Million, une production de la Famous Players. Pour la première fois, le journal Le Droit couvre l’inauguration d’un cinéma. Il faut dire que le quotidien d’Ottawa appartient aux Oblats. À cette époque, le clergé n’apprécie guère le septième art qu’il trouve trop américanisant et souvent présenté qu’en anglais, même au Québec.

Un beau cinéma

L’International Theatres Limited, de Toronto, construit un beau cinéma afin de concurrencer son rival d’en face sur la rue Principale, le cinéma Laurier, aujourd’hui disparu. La compagnie fait appel au décorateur de théâtre de renom, Emmanuel Briffa (1875-1955), qui va décorer plus d’une centaine de salles aux États-Unis et au Canada. Au Québec, on lui doit notamment les théâtres Outremont et Rialto, à Montréal, ainsi que Théâtre Grenada, à Sherbrooke.

Photo: Jean-François Rodrigue, MCCQ

Les cinéphiles découvrent un cinéma de style Art déco dont l’entrée conduit à un grand escalier de marbre et à un hall illuminé par des chandeliers en cristal. Tout le décor intérieur et l’ameublement reflètent l’art déco. Le marbre veiné est très présent et des miroirs semi-circulaires donnent l’impression d’un espace plus grand qu’en réalité.

Si l’entrée se révèle plutôt étroite, la grandeur de l’auditorium impressionne. En fait, c’est le plus grand de la ville avec ses 720 sofas et fauteuils rembourrés. De plus, le propriétaire recoure à la fine pointe de la technologie pour les équipements de projection, l’acoustique et la climatisation.

En choisissant le nom de Cartier, en mémoire de Jacques Cartier, le grand explorateur français, la compagnie torontoise espère séduire la clientèle francophone. Cette dernière sera toutefois déçue car la grande majorité des films sont présentés en anglais, sauf les jeudis soir. En réalité, on vise aussi la clientèle d’Ottawa, particulièrement le dimanche où les cinémas sont fermés.

Le déclin

En 1963, Paul-Hector Lafontaine, gérant de cinémas, achète le Cartier, mais il le garde que cinq ans. Par la suite, le cinéma décline et on y présente plus que des navets, puis des films pornographiques.

Soucieuse de revitaliser la promenade du Portage, la Ville de Hull ferme l’endroit en 1991 et l’achète pour 800 000 $. La revitalisation tarde toutefois à venir et ce n’est qu’en 1998 que la Ville vend l’ancien cinéma pour seulement 200 000 $ aux entrepreneurs Jacques Parent et Raymond Chauvet pour loger le Collège d’informatique Multihexa. Les acheteurs déboursent deux millions pour rendre l’immeuble fonctionnel, mais doivent respecter le caractère patrimonial de la façade et du hall d’entrée. En revanche, il ne reste plus rien du mobilier et de l’équipement et on modifie complètement l’auditorium. Cette vente ne fait pas l’unanimité, mais elle reçoit l’appui de la Société d’histoire de l’Outaouais qui désespère de voir un autre bâtiment patrimonial du centre-ville dépérir.

La façade protégée

Toujours en 1998, la Ville de Hull crée le site du patrimoine de la Promenade-du-Portage. La façade du Cartier est désormais préservée et suite à la fusion de 2002, il s’avère le seul ancien cinéma jouissant d’une protection patrimoniale à Gatineau.

L’école de formation en haute technologie ferme ses portes après l’effondrement de la bulle technologique de l’an 2000. Cela dit, le nom et le logo de Multihexa apparaissent toujours sur la marquise. Plus haut sur la façade, ou aperçoit encore les bateaux qui rappellent les voyages de Cartier que les cinéphiles avaient contemplé à l’inauguration du cinéma, il y a plus de 75 ans.

Par Michel Prévost, D.U., président de la Société d’histoire de l’Outaouais